F. Gonzalez : L’art de Gouverner l’espace public
Friday, May 2, 2008
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Un Sommet des Amériques a réuni à Washington, du 28 avril au 2 mai 2008, 160 délégués de 32 pays d’Amérique du Nord et du Sud. Il s’agissait de cerner les chances et les obstacles pour des liens meilleurs dans l’hémisphère. On trouvait parmi les congressistes six anciens chefs d’État et de gouvernement, quatre présidents de parlement en fonction, 27 parlementaires, des membres du corps diplomatique, diverses autorités religieuses, et des responsables de mouvements de femmes et de jeunesse. Nous reproduisons ici quelques extraits de l'allocution présentée par l'ancien Premier ministre espagnol.
La politique est l’art de gouverner l’espace public que nous partageons – au niveau municipal, national, ou régional. Les dirigeants qui emportent la majorité des suffrages doivent arbitrer une pluralité d’opinions. Les peuples d’Amérique latine et des Caraïbes sont maîtres pour établir des partis politiques en tout genre, même si leurs adhérents tiennent à peine dans un taxi. Le hic, c’est qu’on doit gouverner pour ceux qui ont voté pour nous ainsi que pour ceux qui ne l’ont pas fait. Polariser le pays, jouer l’équipe A contre l’équipe B, c’est trahir l’autorité morale.
Le sentiment d’identité des gens s’est diversifié. On dit par exemple que l’identité de l’Union européenne est judéo-chrétienne, mais on ne sait comment gouverner l8 millions de musulmans qui vivent en Europe ainsi que les juifs qui continuent d’habiter l’Europe depuis la deuxième guerre mondiale.
Mon pays m’a chargé d’une mission impossible durant la guerre en Yougoslavie. J’avais vécu la moitié de ma vie en dictature et la moitié en démocratie. Je sais que la démocratie ne s’impose pas par des chars et des fusils. Mes amis qui étaient nés dans des pays où l’on a connu la démocratie sur plusieurs générations voulaient que Milosevic respecte les minorités, mais comment voulez-vous respecter les minorités quand vous n’êtes pas prêts à respecter le vote de la majorité ?
La plupart des gens en Yougoslavie sont des Slaves du Sud. Certains se définissent comme des chrétiens orthodoxes, d’autres comme des catholiques, et d’autres encore comme des musulmans. Mais quand la guerre a éclaté, chaque groupe s’est trouvé coincé et s’est détruit en excluant les autres. On vous disait que si vous n’étiez pas catholique, vous n’aviez pas le droit d’être Croate ; si vous n’étiez pas orthodoxe, vous n’aviez pas le droit de vous appeler Serbe ; et si vous n’étiez pas musulman, vous n’aviez pas le droit d’être Bosniaque.
Les sociétés vont vers plus de pluralisme quant au sens de l’identité et de l’appartenance de tous – même quand ils sont de religion ou de groupes ethniques identiques et parlent la même langue. Il faut gouverner cette diversité d’appartenance. L’art de gouverner est d’amener les gens à ne pas se tuer les uns les autres, et à avoir un minimum de respect les uns pour les autres. Les dirigeants ont en outre besoin d’un projet avec lequel les divers peuples peuvent s’identifier et avoir un intérêt partagé. Il peut y avoir une pluralité d’idées, mais tous doivent se rallier à un projet commun.
On dira : plus le niveau culturel est élevé, plus on a de chances d’adhérer à la paix et à la démocratie. L’Allemagne était d’un haut niveau de développement culturel, scientifique, technologique, musical et artistique, mais elle a déclenché deux guerres mondiales au vingtième siècle.
L’éducation à la paix ne se limite pas au droit de vote. Le droit de vote est un élément nécessaire en démocratie mais pas suffisant. Le chef est légitimé par le vote, pas par les bottes. La démocratie seule garantit que si les dirigeants agissent mal, le peuple peut les éconduire. Elle ne garantit un bon gouvernement qu’à long terme. Il faut progresser sans cesse et faire les choses sur le long terme.